ELOGES

Sommaire


- 31 août 2013 - Mot d'A Dieu des petits fils d'Hélie de Saint Marc à Lyon
- 31 août 2013 - Sermon de Dom Louis Marie à la Garde Adhémar
- 30 août 2013 - Mot d'accueil par sa fille, Blandine de Saint Marc à la La Garde Adhémar
- 30 août 2013 - Éloge funèbre du Commandant par le général d'armée Bruno Dary à Lyon
- 30 août 2013 - Homélie du Cardinal Barbarin
- 29 août 2013 - Hommage du Général Maurice Faivre
- 4 septembre 2013 - Hommage du Général Delaunay

- 9 & 14 octobre 2013 - Messes en mémoire du commandant Hélie Denoix de Saint Marc

- 18 juin 2011 - Prix spécial de la Saint Cyrienne.

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31 août 2013

Mot d'A Dieu des petits fils d'Hélie de Saint Marc 

31 août 2013 La Garde Adhémar

Cette belle terre de Provence, que vous aimiez laisser glisser entre vos mains vous contiendra tout entier désormais…

Les chênes verts de la garde Adhémar, tancés par le mistral, honoreront toujours votre pas silencieux, celui d’un vieillard aux yeux émerveillés, guidé par votre ami fidele et voisin des Borias : Raymond Geneston.

Vous nous parliez à demi mots des mystères de la colline entrevue avec lui…

Aux soirs d’orages vous nous évoquiez avec malice les cuves à sacrifice et des trésors cathares !

Sage à l’école de vos hôtes, vous étiez insatiable des récits du monde de vos visiteurs.

De vos pâles yeux bleus, vous nous posiez des questions simples, parfois désarçonnantes, loin des hauts faits d’armes.

« Tout est urgent », disiez vous parfois  pour justifier des appels à donner, une lettre à envoyer, une borie à construire ou une rivière à dévier !

Vous disiez certainement cela sentant la mort, cette « vieille amie » que vous aviez croisée à plusieurs reprises, se rapprocher, votre long combat silencieux touche à sa fin.

Vous qui disiez pouvoir mourir lorsque vous n’auriez plus de projets, peut-être avez-vous estimé que le nécessaire était fait.

Pour le reste, Grand-Père, les graines semées germeront ! Nous tâcherons de refuser le confort là où vous avez pris les armes à votre retour de camp.

« Si vieillesse pouvait, si jeunesse savait » disiez vous avec ironie…

A nous donc d’écrire les prochaines lignes !

Les petits enfants d’Hélie de Saint Marc, La Garde Adhémar, le 31 août 2013
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31 août 2013

Sermon pour la messe d'inhumation du
Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc

Arrivée de la dépouille du Commandant Hélie Denoix de saint Marc à Lagarde-Adhémar le 31 août 2013

Sermon pour la messe d'inhumation de Hélie Denoix de Saint Marc par Dom Louis-Marie,
 Père Abbé de Sainte-Madeleine du Barroux à Lagarde-Adhémar le samedi 31 août 2013 :


Dom Louis Marie
Cher Monsieur l'Abbé,
Messieurs les représentants des autorités civiles,
Chère Manette et chère famille,
Chers Amis,

C'est en raison de la grande amitié entre le Commandant Hélie de Saint-Marc et Dom Gérard, mon prédécesseur, que l'on m'a invité à célébrer cette messe d'inhumation. L'amitié entre ces deux grands hommes était faite de respect, de bienveillance et de valeurs partagées.

Hélie Denoix de Saint-Marc était tenu en grande estime au monastère, non seulement parce que comme disait Dom Gérard « les moines sont un peu les légionnaires de l'Église et les légionnaires les moines de l'Armée » mais aussi pour son attitude en 1961 lors du putsch des généraux. Je me souviens avec joie de ce que nous disait notre professeur de théologie, qui le donnait comme exemple parfait d'une action morale droite :

une action en conscience
une action qui respectait les éléments de la guerre juste
une action dont il a assumé la responsabilité
une action qu'il a payée, lui et sa famille, par un prix bien lourd et injuste.

Mais on a peut-être trop parlé de tout cela. Et je voudrai aujourd'hui mettre en lumière trois valeurs que le Commandant Hélie de Saint-Marc partageait avec le moine bénédictin Dom Gérard.

Le premier point commun est le combat de la foi. Cela pourra vous étonner mais Dom Gérard a combattu pour défendre la foi alors que Hélie de Saint-Marc l'a fait aussi pour l'atteindre : en combattant Dieu en face. Certains ont dit qu'il avait laissé sa foi à Langenstein. Je crois que c'est un peu vite dit.

Il a combattu Dieu en face.
Un combat vieux comme le monde.
Un combat qu'ont mené Jacob et Job.
Un combat présent dans toute la Bible.
Un combat que mènent tous ceux qui refusent de vivre à la surface des réalités.

C'est le combat de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, de Mère Térésa, de saint Jean de la Croix. Ce combat consiste très précisément à confronter le Dieu que l'on connaît par la foi et le Dieu que l'on perçoit dans l'histoire. C'est un combat redoutable.

Hélie de Saint Marc disait quelques jours avant sa mort que la souffrance indicible des innocents était pour lui un mystère incompréhensible. Dans Champs de Braises, il écrivait : « Je ne peux certifier qu'il existe un Dieu et qu'Il est l'image de Celui que nos pères nous ont enseigné, mais je sais au moins que le Mal existe, je l'ai vu en face. » Et, de fait, la réponse au grand mystère ténébreux du mal n'est ni facile, ni simple, ni rapide. Mais, trois jours avant sa mort, je crois qu'Hélie avait trouvé un début de réponse. Comme Job, à plus de deux mille ans de distance.

Job, qui avait touché le fond de la souffrance, de l'injustice (car là est le problème), après des cris de révolte, de façon inattendue, au chapitre 19, se lève de son grabat, et fait un acte de foi et d'espérance dans un au-delà, et il dit que ses yeux de chair verront son Dieu. Israël a mis du temps à croire et à espérer dans cet au-delà, à faire une confiance absolue à son Dieu.

Et Hélie de Saint-Marc a fait cet acte de foi, de confiance. Je lui ai demandé s'il croyait à la résurrection et il m'a répondu affirmativement, avec humilité car il a ajouté : « je suis bien obligé ! » et une véritable joie. La joie de celui qui goûte intérieurement ce à quoi il croit.

Et l'on en vient au deuxième trésor que partageaient le moine et le soldat : une âme contemplative.
Dom Gérard était un contemplatif par vocation. Hélie de Saint-Marc était aussi un contemplatif par nature. Un contemplatif, c'est à dire un homme capable de voir l'invisible à travers les choses visibles. Même au camp de Langenstein où il a souffert jusqu'au paroxysme de la faim, de l'épuisement, des coups, des humiliations, de la déshumanisation, il a gardé ce regard contemplatif par lequel, par delà les origines sociales, il voyait avec surprise les âmes telles qu'elles étaient.

Hélie était un contemplatif car il était sensible à la beauté :
la beauté des paysages
la beauté de la musique
la beauté des corps et des visages
la beauté de sa femme
la beauté des âmes.

Il a laissé un testament spirituel sur la beauté que nous devons tenir absolument : « A travers les siècles, la violence et les passions se succèdent. Seule la beauté demeure et résiste à tout. Elle seule élève l'homme. Elle seule peut transfigurer certaines défaites trop lourdes à porter... ».

Hélie était un contemplatif car il avait cette capacité d'unifier dans un regard tout simple un monde bien complexe et même contradictoire. Il était capable en une phrase de faire voir tout le charme du Vietnam dans le mouvement de paupière d'une vietnamienne.

Et nous prions aujourd'hui pour que Hélie puisse parvenir enfin à la plénitude de contemplation de l'Être le plus vrai le plus beau, le plus simple qu'est Dieu. Et nous nous rappellerons que nous avons tous, que nous soyons croyants où non-croyant, la vocation bienheureuse de voir Dieu, de le voir enfin face à face, avec cette joie de Le comprendre, de L'aimer, de Le vivre.

J'en arrive au troisième trésor que partageaient Dom Gérard et Hélie, peut-être le meilleur.
Ils étaient tous les deux des pères.

Quand Dom Gérard est mort, un cri unanime s'est élevé d'une foule nombreuse : « on a perdu un père ».

Hélie de Saint-Marc avait lui aussi une puissance paternelle hors du commun. Il est le père d'une grande famille. Et vous me permettrez de donner un témoignage personnel. En lisant ses écrits, j'ai reçu de lui, d'une certaine manière, la vie. Il m'a donné envie de vivre. Non seulement d'aller un jour voir le Vietnam, non seulement de rencontrer un jour cette femme dont il parlait avec tant de charme : Manette. Mais aussi de devenir un homme. Hélie nous a montré qu'il n'était pas facile d'être un homme mais que c'était possible et que c'était bon et grand. Nous sommes toute une génération à avoir repris espoir en lisant ses écrits.

Lors de notre dernier entretien aux Borias, Hélie s'est encore montré tel qu'il était, en père. Il me demandait, malgré son extrême faiblesse, ce qu'il pouvait faire pour nous. Il pensait aux jeunes novices, à ce qu'il aurait pu leur dire pour les aider. Et je lui ai simplement demandé de nous bénir, ce qui l'a beaucoup étonné mais qu'il a fait volontiers. Il s'est signé et il nous a imposé les mains, comme les patriarches de l'Ancien Testament.

Hélie était un père qui a su, contrairement à d'autres grands hommes, fonder une belle famille. Qui eut pu imaginer qu'un homme qui avait tant souffert donnerait le jour à quatre jolies fleurs qui à leur tour donneraient de beaux fruits. Il a aimé sa femme, il a aimé ses quatre filles, et il a su se faire aimer, et il laisse une vingtaine de petits-enfants qui semblent ne pas avoir peur de la vie.

Et je tiens à dire que l'amour qu'il a eu pour sa femme, un amour mutuel, un amour fidèle, un amour qui a su passer au dessus de sa solitude, est le plus bel héritage qu'il laisse à ses enfants en ces temps où l'amour est humilié et déshumanisé.

Maintenant, je me dois de vous transmettre à tous sa dernière demande, faite juste avant qu'on se quitte : Hélie a demandé qu'on prie pour lui. Il l'a demandé à plusieurs reprises. Il savait que la porte de l'éternité s'ouvrait devant lui. Et que c'était grave. Dieu l'attendait.

Il savait
qu'il avait besoin d'aide,
qu'il avait besoin de la grâce,
qu'il n'était pas au niveau de Dieu.

Il avait bien du mal à se faire à l'idée que Dieu s'était abaissé, qu'Il était venu jusqu'à lui par l'incarnation, par la croix, par l'Église, par le prêtre.
Mais je le lui ai rappelé, et il a souri. Prions pour lui.

 Dom LOUIS-MARIE, Père Abbé de Sainte-Madeleine du Barroux
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30 août 2013

"Mon cher petit papa,"

La famille du Commandant Hélie Denoix de Saint Marc réunie autour de sa dépouille, le 30 août 2013 à Lyon.

"Pour tous ceux qui sont ici tu es indéniablement un grand homme. Pour nous, tes quatre filles, tu es et tu resteras notre cher petit Papa.

Je vois ton sourire taquin et ton œil s’allumer, mais nous tes filles ne sommes pas là pour glorifier tes faits d’armes. Tes compagnons d’arme sont bien plus habilités à le faire. Et nous remercions tous ceux, certains au prix d’une organisation chaotique, qui sont venus aujourd’hui te rendre un dernier hommage. Tous ces frères d’armes, vivants ou ombres disparues, ont bercé notre enfance puis notre vie entière. Nous en croisions les sourires, les chagrins, les drames ou les espoirs, au détour des couloirs de la prison de Tulle, de Lyon puis des Borias.

Les Borias, tu as tant aimé cette bâtisse de pierres dorées accrochées à la garrigue, ton djebel provençal battu par le mistral, ton monastère invisible où tu as passé de si longues heures à saluer le lever de lune, à contempler la tour de Clansayes du haut de laquelle la Vierge Marie, sentinelle éternelle, veille sur le Tricastin.

Les Borias, dernier repaire d’anciens légionnaires, qui débarquaient sans crier gare, pour saluer leur commandant. Ils ont dressé pour nous cette stature d’officiers que nous avons peu à peu apprivoisée, puis admirée et comprise.


Mais bien sûr, dans notre cœur, tu es avant tout ce papa plein de tendresse et d’attention qui nous a toujours accompagnées sans faillir. Même aux jours les plus noirs de la prison, tu étais présent, attentif, ému. Cette prison où tu as connu la solitude et l’opprobre, mais qui t’a rendu libre.

Puis ce furent les années lyonnaises où quelques familles, qui se reconnaîtront aisément, nous accueillirent avec le cœur, faisant fi des vents mauvais. Merci à tous nos amis qui sont ici présents, fidèles au rendez-vous.

A Lyon nous avons découvert les joies de la vie ensemble, en famille, où nous avons essayé avec maman de chasser les ombres qui te hantaient, car elles devenaient aussi les nôtres. Fantômes de Buchenwald et de Languenstein, de Talung, de la RC4, de Dien Bien Phu, des djebels algériens…. Qu’ils étaient nombreux !!

Nous n’y sommes jamais parvenues, mais peut-être les avons-nous tenus un peu à distance en t’entraînant dans le tourbillon d’une fratrie de quatre filles au sein de laquelle les cris, les rires, la joie et les larmes n’ont jamais manqué. Ta manière de nous guider dans la vie, toujours respectueuse, structurée, nous induisant à toujours donner le meilleur de nous-mêmes (viser au plus haut, s’estimer au plus juste…) s’est ancrée en nous.


Ton exemple d’humanité, d’écoute, cette attention permanente à chacun, cette absence de jugement, cette fidélité totale à tous tes engagements, et ce jusqu’à ta mort, et surtout ta capacité à pardonner, cette faculté inestimable de résilience, nous ont marquées à jamais.

Tu nous as appris, je te cite, ‘que rien n’est acquis, que tout se construit, que la vie est un combat, et que si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu’. Tout un programme !! Exigent, avec beaucoup d’embuscades !! Avec maman nous avons tenté de te suivre. Mission difficile, mon Commandant !

A travers nos amis, tu as noué ce lien particulier avec la jeunesse, cette force vive, afin de leur transmettre ta part de vérité et ce pour quoi tu t’es battu. Cette passion ne t’a plus quittée, c’est devenu ta raison d’être.

Notre fratrie s’est ainsi élargie, combien de fils de coeur as-tu drainés comme un fleuve puissant et tranquille.


Patriarche d’une belle et nombreuse descendance, tes vingt petits-enfants et trois arrières petits-enfants, sont là aujourd’hui pour reprendre le flambeau. Le couple que vous formiez avec maman, solide dans la tempête, est un ancrage inestimable pour eux. Maman qui, avec son sourire, sa joie de vivre, sa beauté, a réjoui ton cœur, a été un des piliers qui t’ont permis de survivre et de te reconstruire.

Tu as préféré la vérité aux honneurs, sacrifié ta carrière, ta réputation, voire tes amitiés.

La miséricorde divine et ta volonté t’ont permis de mourir debout, comme tu as toujours vécu, comme tu l’as toujours souhaité : partir de tes chers Borias, au milieu de tes enfants et petits-enfants, la tête reposant contre un vieil olivier, apaisé. Tu as été exaucé.


Ce petit mot retrouvé dans tes papiers :

A cette heure de départ, souhaitez-moi bonne chance mes amis. Le ciel est rougissant d’or, le sentier s’ouvre, merveilleux. Ne me demandez pas ce que j’emporte. Je pars en voyage les mains vides et le coeur plein d’attentes.




Laisse-nous maintenant te dire avec Goethe : « Meurs et deviens »"


Blandine De Saint Marc Lyon le 30 août 2013
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30 août 2013

Éloge funèbre  du  Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc,  

prononcé par le général d’armée (2S) Bruno DARY, 
Président de l’Association des anciens légionnaires parachutistes (AALP) 
le vendredi 30 août 2013 à Lyon.

Général d'Armée Bruno Dary le 30 août 2013 à Lyon

Mon commandant, mon ancien,


Ils sont là, ils sont tous présents, qu’ils soient vivants ou disparus, oubliés de l’histoire ou célèbres, croyants, agnostiques ou incroyants, souffrant ou en pleine santé, jeunes soldats ou anciens combattants, civils ou militaires, ils sont tous présents, si ce n’est pas avec leur corps, c’est par leur cœur ou par leur âme ! Tous ceux qui, un jour, ont croisé votre chemin, ou ont fait avec vous une partie de votre route ou plutôt de votre incroyable destinée, sont regroupés autour de vous : les lycéens de Bordeaux, les résistants du réseau Jade-Amicol, les déportés du camp de Langenstein, vos frères  d’armes, vos légionnaires que vous avez menés au combat, ceux qui sont morts dans l’anonymat de la jungle ou l’indifférence du pays, les enfants de Talung que vous avez dû laisser derrière vous, les harkis abandonnés puis livrés aux mains du FLN ! Je n’oublie pas vos parents et votre famille, qui ont partagé vos joies et vos épreuves; il faut ajouter à cette longue liste, les jeunes générations, qui n’ont connu, ni la Guerre de 40, ni l’Indochine, pas plus que l’Algérie, mais qui ont dévoré vos livres, qui vous ont écouté et que vous avez marqués profondément ! Cette liste ne serait pas complète, si n’était pas évoquée la longue cohorte des prisonniers, des déchus, des petits et des sans-grades, les inconnus de l’histoire et des médias, ceux que vous avez croisés, écoutés, respectés, défendus, compris et aimés et dont vous avez été l’avocat. Eux tous s’adressent à vous aujourd’hui, à travers ces quelques mots et, comme nous en étions convenus la dernière fois que nous nous sommes vus et embrassés chez vous, je ne servirai que d’interprète, à la fois fidèle, concis et surtout sobre.

Aujourd’hui, Hélie, notre compagnon fidèle, c’est vous qui nous quittez, emportant avec vous vos souvenirs et surtout vos interrogations et vos mystères ; vous laissez chacun de nous, à la fois heureux et fier de vous avoir rencontré, mais triste et orphelin de devoir vous quitter. Vous laissez surtout chacun de nous, seul face à sa conscience et face aux interrogations lancinantes et fondamentales qui ont hanté votre vie, comme elles hantent la vie de tout honnête homme, qui se veut à la fois homme d’action et de réflexion, et qui cherche inlassablement à donner un sens à son geste !

Parmi tous ces mystères, l’un d’eux ne vous a jamais quitté. Il a même scandé votre vie ! C’est celui de la vie et de la mort. Car qui d’autres mieux que vous, aurait pu dire, écrire, prédire ou reprendre à son compte ce poème d’Alan Seeger, cet Américain, à la fois légionnaire et poète, disparu à 20 ans dans la tourmente de 1916 : « j’ai rendez-vous avec la mort » ?

C’est à 10 ans que vous avez votre premier rendez-vous avec la mort, quand gravement malade, votre maman veille sur vous, nuit et jour ; de cette épreuve, vous vous souviendrez d’elle, tricotant au pied de votre lit et vous disant : « Tu vois Hélie, la vie est ainsi faite comme un tricot : il faut toujours avoir le courage de mettre un pied devant l’autre, de toujours recommencer, de ne jamais s’arrêter, de ne jamais rien lâcher ! » Cette leçon d’humanité vous servira et vous sauvera quelques années plus tard en camp de concentration. Votre père, cet homme juste, droit et indépendant, qui mettait un point d’honneur durant la guerre, à saluer poliment les passants, marqués de l’étoile jaune, participera aussi à votre éducation ; il vous dira notamment de ne jamais accrocher votre idéal, votre ‘‘étoile personnelle’’ à un homme, aussi grand fût-il ! De l’époque de votre jeunesse, vous garderez des principes stricts et respectables, que les aléas de la vie ne vont pourtant pas ménager ; c’est bien là votre premier mystère d’une éducation rigoureuse, fondée sur des règles claires, simples et intangibles, que la vie va vous apprendre à relativiser, dès lors qu’elles sont confrontées à la réalité !

Puis, à 20 ans, vous aurez votre deuxième rendez-vous avec la mort ! Mais cette fois-ci, vêtu d’un méchant pyjama rayé, dans le camp de Langenstein. Deux ans de déportation mineront votre santé et votre survie se jouera à quelques jours près, grâce à la libération du camp par les Américains. Mais votre  survie se jouera aussi par l’aide fraternelle d’un infirmier français qui volait des médicaments pour vous sauver d’une pneumonie, puis celle d’un mineur letton, qui vous avait pris en affection et qui chapardait de la nourriture pour survivre et vous aider à supporter des conditions de vie et de travail inhumaines. En revanche, vous refuserez toujours de participer à toute forme d’emploi administratif dans la vie ou l’encadrement du camp d’internement, ce qui vous aurait mis à l’abri du dénuement dans lequel vous avez vécu. Vous y connaîtrez aussi la fraternité avec ses différentes facettes : d’un côté, celle du compagnon qui partage un quignon de pain en dépit de l’extrême pénurie, du camarade qui se charge d’une partie de votre travail malgré la fatigue, mais de l’autre, les rivalités entre les petites fraternités qui se créaient, les cercles, les réseaux d’influence, les mouvements politiques ou les nationalités…. Mystère, ou plutôt misère, de l’homme confronté à un palier de souffrances tel qu’il ne s’appartient plus ou qu’il perd ses références intellectuelles, humaines et morales !

Vous avez encore eu rendez-vous avec la mort à 30 ans, cette fois, à l’autre bout du monde, en Indochine. Vous étiez de ces lieutenants et de ces capitaines, pour lesquels de Lattre s’était engagé jusqu’à l’extrême limite de ses forces, comme sentinelles avancées du monde libre face à l’avancée de la menace communiste. D’abord à Talung, petit village à la frontière de Chine, dont vous avez gardé pieusement une photo aérienne dans votre bureau de Lyon. Si les combats que vous y avez mené n’eurent pas de dimension stratégique, ils vous marquèrent profondément et définitivement par leur fin tragique : contraint d’abandonner la Haute région, vous avez dû le faire à Talung, sans préavis, ni ménagement ; ainsi, vous et vos légionnaires, quittèrent les villageois, en fermant les yeux de douleur et de honte ! Cette interrogation, de l’ordre que l’on exécute en désaccord avec sa conscience, vous hantera longtemps, pour ne pas dire toujours ! Plus tard, à la tête de votre Compagnie du 2° Bataillon étranger de parachutistes, vous avez conduit de durs et longs combats sous les ordres d’un chef d’exception, le chef d’escadron RAFFALLI : Nhia Lo, la Rivière Noire, Hoa Binh, Nassan, la Plaine des Jarres. Au cours de ces combats, à l’instar de vos compagnons d’armes ou de vos aînés, vous vous sentiez invulnérables ; peut-être même, vous sentiez-vous tout permis, parce que la mort était votre plus proche compagne : une balle qui vous effleure à quelques centimètres du cœur, votre chef qui refuse de se baisser devant l’ennemi et qui finit pas être mortellement touché ; Amilakvari et Brunet de Sairigné vous avaient montré le chemin, Segrétain, Hamacek, Raffalli et plus tard Jeanpierre, Violès, Bourgin, autant de camarades qui vous ont quitté en chemin. Parmi cette litanie, on ne peut oublier, votre fidèle adjudant d’unité, l’adjudant Bonnin, qui vous a marqué à tel point, que, plus tard, vous veillerez à évoquer sa personnalité  et sa mémoire durant toutes vos conférences ! Et avec lui, se joignent tous vos légionnaires, qui ont servi honnêtes et fidèles, qui  sont morts, dans l’anonymat mais face à l’ennemi, et pour lesquels vous n’avez eu le temps de dire qu’une humble prière. Tel est le mystère de la mort au combat, qui au même moment frappe un compagnon à vos côtés et vous épargne, pour quelques centimètres ou une fraction de seconde !

10 ans plus tard, vous aurez encore rendez-vous avec la mort ! Mais cette fois-ci, ce ne sera pas d’une balle perdue sur un champ de bataille, mais de 12 balles dans la peau, dans un mauvais fossé du Fort d’Ivry. En effet, vous veniez d’accomplir un acte grave, en vous rebellant contre l’ordre établi et en y entraînant derrière vous une unité d’élite de légionnaires, ces hommes venus servir la France avec honneur et fidélité. Or retourner son arme contre les autorités de son propre pays reste un acte très grave pour un soldat ; en revanche, le jugement qui sera rendu - 10 ans de réclusion pour vous et  le sursis pour vos capitaines -  montre qu’en dépit de toutes les pressions politiques de l’époque, en dépit des tribunaux d’exception et en dépit de la rapidité du jugement, les circonstances atténuantes vous ont été reconnues. Elles vous seront aussi été reconnues 5 ans après, quand vous serez libéré de prison, comme elles vous seront encore reconnues quelques années plus tard quand vous serez réhabilité dans vos droits ; elles vous seront surtout reconnues par la nation et par les médias à travers le succès éblouissant de vos livres, celui de vos nombreuses conférences et par votre témoignage d’homme d’honneur. Ces circonstances atténuantes se transformeront finalement en circonstances exceptionnelles, lorsque, 50 ans plus tard, en novembre 2011, le Président de la République en personne vous élèvera à la plus haute distinction de l’Ordre de la Légion d’Honneur ; au cours de cette cérémonie émouvante, qui eut lieu dans le Panthéon  des soldats, nul ne saura si l’accolade du chef des armées représentait le pardon du pays à l’un de ses grands soldats ou bien la demande de pardon de la République pour avoir tant exigé de ses soldats à l’époque de l’Algérie. Le pardon, par sa puissance, par son exemple et surtout par son mystère, fera le reste de la cérémonie !….Aujourd’hui, vous nous laissez l’exemple d’un soldat qui eut le courage, à la fois fou et réfléchi, de tout sacrifier dans un acte de désespoir pour sauver son honneur ! Mais vous nous quittez en sachant que beaucoup d’officiers ont aussi préservé leur honneur en faisant le choix de la discipline. Le mot de la fin, si une fin il y a, car la tragédie algérienne a fait couler autant d’encre que de sang, revient à l’un de vos contemporains, le général de Pouilly, qui, au cours de l’un des nombreux procès qui suivirent, déclara, de façon magistrale et courageuse, devant le tribunal : « Choisissant la discipline, j’ai également choisi de partager avec la Nation française la honte d’un abandon… Et pour ceux qui, n’ayant pas pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l’Histoire dira sans doute que leur crime est moins grand que le nôtre » !

Et puis, quelque 20 ans plus tard, alors que, depuis votre sortie de prison, vous aviez choisi de garder le silence, comme seul linceul qui convienne après tant de drames vécus, alors que vous aviez reconstruit votre vie, ici même à Lyon, vous êtes agressé un soir dans la rue par deux individus masqués, dont l’un vous crie, une fois que vous êtes à terre : « Tais-toi ! On ne veut plus que tu parles ! » Cette agression survenait après l’une de vos rares interventions de l’époque ; elle agira comme un électrochoc et vous décidera alors à témoigner de ce que vous avez vu et vécu à la pointe de tous les drames qui ont agité la France au cours du XXème siècle. Ainsi, au moment où vous comptiez prendre votre retraite, vous allez alors commencer, une 3° carrière d’écrivain et de conférencier. Alors que le silence que vous aviez choisi de respecter, vous laissait en fait pour mort dans la société française, ce nouvel engagement va vous redonner une raison de vivre et de combattre ! Toujours ce mystère de la vie et de la mort ! Au-delà des faits et des drames que vous évoquerez avec autant d’humilité que de pudeur, vous expliquerez les grandeurs et les servitudes du métier des armes et plus largement de celles de tout homme. A l’égard de ceux qui ont vécu les mêmes guerres, vous apporterez un témoignage simple, vrai, poignant et dépassionné pour expliquer les drames vécus par les soldats, qui, dans leur prérogative exorbitante de gardien des armes de la cité et de la force du pays, sont en permanence confrontés aux impératifs des ordres reçus, aux contraintes de la réalité des conflits et aux exigences de leur propre conscience, notamment quand les circonstances deviennent exceptionnellement dramatiques. A l’égard des jeunes générations, qui n’ont pas connu ces guerres, ni vécu de telles circonstances, mais qui vous ont écouté avec ferveur, vous avez toujours évité de donner des leçons de morale, ayant vous-même trop souffert quand vous étiez jeune, des tribuns qui s’indignaient sans agir, de ceux qui envoyaient les jeunes gens au front en restant confortablement assis ou de notables dont la prudence excessive servait d’alibi à l’absence d’engagement. Vous êtes ainsi devenu une référence morale pour de nombreux jeunes, qu’ils fussent officiers ou sous-officiers ou plus simplement cadres ou homme de réflexion.

Puis dans les dernières années de votre vie, vous avez aussi eu plusieurs rendez-vous avec la mort, car votre « carcasse » comme vous nous le disiez souvent, finissait pas vous jouer des tours et le corps médical, avec toute sa compétence, sa patience et son écoute, ne pouvait plus lutter contre les ravages physiques des années de déportation, les maladies contractées dans la jungle indochinoise et les djebels algériens, les conséquences des années de campagnes, d’humiliation ou de stress. Pourtant, vous avez déjoué les pronostics et vous avez tenu bon, alors que vous accompagniez régulièrement bon nombre de vos frères d’armes à leur dernière demeure ! Là encore, le mystère de la vie et de la mort vous collait à la peau.

Et puis, aujourd’hui, Hélie, notre ami, vous êtes là au milieu de nous ; vous, l’homme de tous les conflits du XX ème siècle, vous vous êtes endormi dans la paix du Seigneur en ce début du XXI ème siècle, dans votre maison des Borias que vous aimiez tant, auprès de Manette et de celles et ceux qui ont partagé l’intimité de votre vie.

Mais, Hélie, êtes-vous réellement mort ? Bien sûr, nous savons que nous ne croiserons plus vos yeux d’un bleu indéfinissable ! Nous savons que nous n’écouterons plus votre voix calme, posée et déterminée ! Nous savons aussi que, lors de nos prochaines étapes à Lyon, seule Manette nous ouvrira la porte et nous accueillera ! Nous savons aussi que vos écrits sont désormais achevés !

Mais, Hélie, à l’instar de tous ceux qui sont ici présents, nous avons envie nous écrier, comme cet écrivain français : « Mort, où est ta victoire ? » 

Mort, où est ta victoire, quand on a eu une vie aussi pleine et aussi intense, sans jamais baisser les bras et sans jamais renoncer ?
Mort, où est ta victoire, quand on n’a cessé de frôler la mort, sans jamais chercher à se protéger ?
Mort, où est ta victoire, quand on a toujours été aux avant-gardes de l’histoire, sans jamais manqué à son devoir ?
Mort, où est ta victoire, quand on a su magnifier les valeurs militaires jusqu’à l’extrême limite de leur cohérence, sans jamais défaillir à son honneur ?
Mort, où est ta victoire, quand on s’est toujours battu pour son pays, que celui-ci vous a rejeté et que l’on est toujours resté fidèle à soi-même ?
Mort, où est ta victoire, quand après avoir vécu de telles épreuves, on sait rester humble, mesuré et discret ?
Mort, où est ta victoire, quand son expérience personnelle, militaire et humaine s’affranchit des époques, des circonstances et des passions et sert de guide à ceux qui reprendront le flambeau ? 
Mort, où est ta victoire, quand après avoir si souvent évoqué l’absurde et le mystère devant la réalité de la mort, on fait résolument le choix de l’Espérance ?

Hélie, notre frère, toi qui a tant prôné l’Espérance, il me revient maintenant ce vieux chant scout que tu as dû chanter dans ta jeunesse et sans doute plus tard, et que tous ceux qui sont présents pourraient entonner : « Ce n’est qu’un au revoir, mon frère ! Ce n’est qu’un au revoir ! Oui, nous nous reverrons Hélie ! Oui, nous nous reverrons » !

Oui, Hélie, oui, nous nous reverrons à l’ombre de Saint Michel et de Saint Antoine, avec tous tes compagnons d’armes, en commençant par les plus humbles, dans un monde sans injure, ni parjure, dans un monde sans trahison, ni abandon, dans un monde sans tromperie, ni mesquinerie, dans un monde de pardon, d’amour et de vérité !



A Dieu, Hélie….A Dieu, Hélie et surtout merci ! Merci d’avoir su nous guider au milieu des « champs de braises ! »

Général d'Armée Bruno DARY, Lyon le 30 août 2013,
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30 août 2013

Homélie du Cardinal Philippe Barbarin

L'article en format PDF ici : HDSM - 2013-08-30 - Homélie du Cardinal Barbarin
La source de l'article :

Thierry Servot  du groupe "Les amis d'Hélie De Saint Marc"
L'Homélie en MP3 ici : HDSM - 2013-08-30 - MP3 - Homélie du Cardinal Barbarin


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29 août 2013


L'article en format PDF ici : HDSM - 2013-08-29 - Hommage du Général Faivre
La source de l'article :
http://www.clan-r.org/portail/Hommage-a-Helie-de-Saint-Marc-par

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j

4 septembre 2013

L'article en format PDF ici : HDSM 2013-09-04 - Hommage du Général Delaunay

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9 & 14 octobre 2013


La source de l'article : 
Via Lionel Gendron et Thierry Servot sur la page FB "Les amis d'Hélie de Saint Marc"






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18 juin 2011


L'article en format PDF ici : HDSM - 2011-06-18 - Prix spécial La Saint Cyrienne
La source de l'article :

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