mercredi 11 septembre 2013

Sermon de Dom Louis-Marie

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L'article en format PDF ici : HDSM - 2013-08-31 - Sermon de Dom Louis-Marie
La source de l'article :
Gilles Richard du groupe "Les amis d'Hélie De Saint Marc"

Sermon pour la messe d'inhumation du
 Commandant Hélie Denoix de Saint-Marc

Arrivée de la dépouille mortelle du Commandant Hélie Denoix de Saint Marc à Lagarde-Adhémar, le 31 août 2013

Sermon pour la messe d'inhumation de Hélie Denoix de Saint Marc par Dom Louis-Marie,
 Père Abbé de Sainte-Madeleine du Barroux à Lagarde-Adhémar le samedi 31 août 2013 :


Dom Louis Marie
Cher Monsieur l'Abbé,
Messieurs les représentants des autorités civiles,
Chère Manette et chère famille,
Chers Amis,

C'est en raison de la grande amitié entre le Commandant Hélie de Saint-Marc et Dom Gérard, mon prédécesseur, que l'on m'a invité à célébrer cette messe d'inhumation. L'amitié entre ces deux grands hommes était faite de respect, de bienveillance et de valeurs partagées.

Hélie Denoix de Saint-Marc était tenu en grande estime au monastère, non seulement parce que comme disait Dom Gérard « les moines sont un peu les légionnaires de l'Église et les légionnaires les moines de l'Armée » mais aussi pour son attitude en 1961 lors du putsch des généraux. Je me souviens avec joie de ce que nous disait notre professeur de théologie, qui le donnait comme exemple parfait d'une action morale droite :

une action en conscience
une action qui respectait les éléments de la guerre juste
une action dont il a assumé la responsabilité
une action qu'il a payée, lui et sa famille, par un prix bien lourd et injuste.

Mais on a peut-être trop parlé de tout cela. Et je voudrai aujourd'hui mettre en lumière trois valeurs que le Commandant Hélie de Saint-Marc partageait avec le moine bénédictin Dom Gérard.

Le premier point commun est le combat de la foi. Cela pourra vous étonner mais Dom Gérard a combattu pour défendre la foi alors que Hélie de Saint-Marc l'a fait aussi pour l'atteindre : en combattant Dieu en face. Certains ont dit qu'il avait laissé sa foi à Langenstein. Je crois que c'est un peu vite dit.

Il a combattu Dieu en face.
Un combat vieux comme le monde.
Un combat qu'ont mené Jacob et Job.
Un combat présent dans toute la Bible.
Un combat que mènent tous ceux qui refusent de vivre à la surface des réalités.

C'est le combat de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, de Mère Térésa, de saint Jean de la Croix. Ce combat consiste très précisément à confronter le Dieu que l'on connaît par la foi et le Dieu que l'on perçoit dans l'histoire. C'est un combat redoutable.

Hélie de Saint Marc disait quelques jours avant sa mort que la souffrance indicible des innocents était pour lui un mystère incompréhensible. Dans Champs de Braises, il écrivait : « Je ne peux certifier qu'il existe un Dieu et qu'Il est l'image de Celui que nos pères nous ont enseigné, mais je sais au moins que le Mal existe, je l'ai vu en face. » Et, de fait, la réponse au grand mystère ténébreux du mal n'est ni facile, ni simple, ni rapide. Mais, trois jours avant sa mort, je crois qu'Hélie avait trouvé un début de réponse. Comme Job, à plus de deux mille ans de distance.

Job, qui avait touché le fond de la souffrance, de l'injustice (car là est le problème), après des cris de révolte, de façon inattendue, au chapitre 19, se lève de son grabat, et fait un acte de foi et d'espérance dans un au-delà, et il dit que ses yeux de chair verront son Dieu. Israël a mis du temps à croire et à espérer dans cet au-delà, à faire une confiance absolue à son Dieu.

Et Hélie de Saint-Marc a fait cet acte de foi, de confiance. Je lui ai demandé s'il croyait à la résurrection et il m'a répondu affirmativement, avec humilité car il a ajouté : « je suis bien obligé ! » et une véritable joie. La joie de celui qui goûte intérieurement ce à quoi il croit.

Et l'on en vient au deuxième trésor que partageaient le moine et le soldat : une âme contemplative.
Dom Gérard était un contemplatif par vocation. Hélie de Saint-Marc était aussi un contemplatif par nature. Un contemplatif, c'est à dire un homme capable de voir l'invisible à travers les choses visibles. Même au camp de Langenstein où il a souffert jusqu'au paroxysme de la faim, de l'épuisement, des coups, des humiliations, de la déshumanisation, il a gardé ce regard contemplatif par lequel, par delà les origines sociales, il voyait avec surprise les âmes telles qu'elles étaient.

Hélie était un contemplatif car il était sensible à la beauté :
la beauté des paysages
la beauté de la musique
la beauté des corps et des visages
la beauté de sa femme
la beauté des âmes.

Il a laissé un testament spirituel sur la beauté que nous devons tenir absolument : « A travers les siècles, la violence et les passions se succèdent. Seule la beauté demeure et résiste à tout. Elle seule élève l'homme. Elle seule peut transfigurer certaines défaites trop lourdes à porter... ».

Hélie était un contemplatif car il avait cette capacité d'unifier dans un regard tout simple un monde bien complexe et même contradictoire. Il était capable en une phrase de faire voir tout le charme du Vietnam dans le mouvement de paupière d'une vietnamienne.

Et nous prions aujourd'hui pour que Hélie puisse parvenir enfin à la plénitude de contemplation de l'Être le plus vrai le plus beau, le plus simple qu'est Dieu. Et nous nous rappellerons que nous avons tous, que nous soyons croyants où non-croyant, la vocation bienheureuse de voir Dieu, de le voir enfin face à face, avec cette joie de Le comprendre, de L'aimer, de Le vivre.

J'en arrive au troisième trésor que partageaient Dom Gérard et Hélie, peut-être le meilleur.
Ils étaient tous les deux des pères.

Quand Dom Gérard est mort, un cri unanime s'est élevé d'une foule nombreuse : « on a perdu un père ».

Hélie de Saint-Marc avait lui aussi une puissance paternelle hors du commun. Il est le père d'une grande famille. Et vous me permettrez de donner un témoignage personnel. En lisant ses écrits, j'ai reçu de lui, d'une certaine manière, la vie. Il m'a donné envie de vivre. Non seulement d'aller un jour voir le Vietnam, non seulement de rencontrer un jour cette femme dont il parlait avec tant de charme : Manette. Mais aussi de devenir un homme. Hélie nous a montré qu'il n'était pas facile d'être un homme mais que c'était possible et que c'était bon et grand. Nous sommes toute une génération à avoir repris espoir en lisant ses écrits.

Lors de notre dernier entretien aux Borias, Hélie s'est encore montré tel qu'il était, en père. Il me demandait, malgré son extrême faiblesse, ce qu'il pouvait faire pour nous. Il pensait aux jeunes novices, à ce qu'il aurait pu leur dire pour les aider. Et je lui ai simplement demandé de nous bénir, ce qui l'a beaucoup étonné mais qu'il a fait volontiers. Il s'est signé et il nous a imposé les mains, comme les patriarches de l'Ancien Testament.

Hélie était un père qui a su, contrairement à d'autres grands hommes, fonder une belle famille. Qui eut pu imaginer qu'un homme qui avait tant souffert donnerait le jour à quatre jolies fleurs qui à leur tour donneraient de beaux fruits. Il a aimé sa femme, il a aimé ses quatre filles, et il a su se faire aimer, et il laisse une vingtaine de petits-enfants qui semblent ne pas avoir peur de la vie.

Et je tiens à dire que l'amour qu'il a eu pour sa femme, un amour mutuel, un amour fidèle, un amour qui a su passer au dessus de sa solitude, est le plus bel héritage qu'il laisse à ses enfants en ces temps où l'amour est humilié et déshumanisé.

Maintenant, je me dois de vous transmettre à tous sa dernière demande, faite juste avant qu'on se quitte : Hélie a demandé qu'on prie pour lui. Il l'a demandé à plusieurs reprises. Il savait que la porte de l'éternité s'ouvrait devant lui. Et que c'était grave. Dieu l'attendait.

Il savait
qu'il avait besoin d'aide,
qu'il avait besoin de la grâce,
qu'il n'était pas au niveau de Dieu.

Il avait bien du mal à se faire à l'idée que Dieu s'était abaissé, qu'Il était venu jusqu'à lui par l'incarnation, par la croix, par l'Église, par le prêtre.
Mais je le lui ai rappelé, et il a souri. Prions pour lui.

 Dom LOUIS-MARIE, Père Abbé de Sainte-Madeleine du Barroux.


Sépulture du Commandant Hélie Denoix de Saint Marc (1922-2013)                L'humilité jusqu'au bout du chemin !


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