vendredi 24 janvier 2014

Le miroir de notre perception intérieure

Les montagnes de Nghia Lo


Hélie de Saint Marc en Indochine
De juillet 1951 à mai 1953, le capitaine Hélie Denoix de Saint Marc effectue son deuxième séjour en Indochine. Affecté au 2ème Bataillon Etranger de Parachutistes du Capitaine Raffali, il y commande la CIPLE (Compagnie Indochinoise Parachutiste Légion Étrangère), composée de volontaires vietnamiens.

Au cours de ce séjour, Hélie Denoix de Saint Marc participe à des opérations d'envergure menées par le corps expéditionnaire français d’Extrême Orient que le Général De Lattre vient de reprendre en main en décembre 1950, après les graves revers subis sur la RC4 (Dong Khê, Cao Bang, That Ke notamment)

Le général Giap, grisé par la bataille victorieuse de la RC 4, lance précipitamment ses divisions Viêt-minh au début de l'année 1951 dans une grande offensive au Nord Ouest d'Hanoï...

C'est d'abord la bataille de Vinh Yen du 13 au 18 janvier 1951 où le Viêt-minh est écrasé, puis la bataille de Mao Khé du 29 au 31 mars 195, où le Viêt-minh est repoussé. Face à la résistance victorieuse des français, Giap se tourne vers la région du Delta où il lance sa troisième offensive, c'est la  bataille du Day, du 29 mai au 7 juin 195, où là encore les français repoussent victorieusement les attaques nocturnes des viets.

Depuis que le Viêt-minh, a abandonné la guérilla pour des offensives de grandes envergures la guerre d'Indochine a changé de dimension, let malgré ses défaites Giap, fort de ses effectifs pléthoriques se jette fin septembre 1951, dans une nouvelle offensive au Nord Ouest de Hanoï, entre la Rivière Rouge et la Rivière Noire et dont l'objectif principal est le poste de Nghia Lo. Cette bataille qui se déroule du 28 septembre au 10 octobre est décisive et brise définitivement l'offensive de Giap. 

Photo publié avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

Le Capitaine Hélie Denoix de Saint Marc, est alors engagé avec la CIPLE au plus fort des combats, qui se déroulent dans une décor montagneux et luxuriant aux collines escarpées, et le hommes aux âmes dénudées par la guerre, vont se fondre et se confondre dans ce décor mythique des montagnes du Vietnam.


"Composer avec l'ordre du monde"

A la guerre, que seuls les combattants peuvent comprendre objectivement, on dit souvent "le terrain commande", et cet adage n'est pas seulement une réalité stratégique, tactique ou technique... et l'environnement dans lequel le soldat se fond et se confond, imprègne son éthique en lui imposant ses règles immuables. 

Alors qu'autrefois, l'hiver ou un sommet pouvaient décider du sort d'une guerre ou d'une bataille, aujourd'hui, même s'il influence toujours ses choix, l'armée moderne cherche a se soustraire des contraintes du terrain. L'aviation devient les "sommets" dominant les champs de bataille, les satellites et les drones remplacent les observateurs, et les bombardements peuvent même effacer une forêt de la carte... 

Mais le Vietnam hier, ou l'Afghanistan aujourd'hui, sont là pour nous rappeler que le terrain commande et commandera toujours, et peut donner la victoire à ceux qui le respectent et s'imprègnent de son ordre. 
L'esprit qui doit animer un combat ne peut être que localiste et traditionnel Et le soldat, même moderne, ne dominera son adversaire que s'il comprend son paysage, car ce dernier est le creuset de sa culture, son mental, sa volonté et donc de sa perception du combat

Les guerres récentes sont des victoires de la technologie plus que de la volonté, et aujourd'hui les talibans dans leur montagne ou les touaregs dans leur désert continuent de défier la suprématie technologique et l'orgueil du Nouvel Ordre Mondial. Car les combattants, comme ceux des forces spéciales par exemple, qui, sur le terrain composent encore avec les pentes escarpées, les espaces découverts, ou l'obscurité des forêts, savent que la victoire finale est aussi et surtout une affaire d'adaptation au terrain, de volonté guerrière, et d'humilité humaine...

Ainsi de l'Indochine, lors de cette bataille du Tonkin en 1951, où l'intensité de la guerre n'a d'égale que celle de la nature où elle souffle, et le combattant s'il veut dominer la première doit comprendre et se soumettre à la seconde afin de "se retrouver dans un élément à la hauteur de ses émotions intérieures."

Erwan Castel, Régina le 24 janvier 2014


" Les paysages nous attirent dans la mesure où 
ils sont le miroir de notre perception intérieure." 


" Je pourrais décrire pendant des heures ces étranges montagnes de la Haute Région qui se dressaient abrupts comme des rochers en pleine mer, ces reliefs déchiquetés, ces cathédrales de jungle perdues dans le ciel nuageux. Il était impossible de trouver un arpent de terre sans un torrent de mousse. On y voyait des arbres qui semblaient plantés dans l'eau. jamais je n'ai rencontré une nature aussi violente. "

NGHIA LO - 1951 - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

" Les montagnes du Tonkin étaient un livre ouvert, dans lequel je cherchais à comprendre le sens de la condition humaine. En déportation, j'avais connu la démesure des hommes, cet absolu du mal qui demeure en chaque être humain. La jungle était aussi violente et insensée que la folie de Buchenwald. Mais sa fécondité était à la hauteur de son pouvoir de destruction. "

NGHIA LO - 1951 - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

" Nous pouvions marcher des jours entiers sous les arbres comme si nous étions dans la nuit, dans l'humus, dans l'eau qui suintait de la pierre, au milieu des cris des oiseaux et des odeurs magnifiques. J'avais parfois l'impression qu'en posant la main contre un tronc d'arbre, j'aurais pu sentir battre la sève. Je me retrouvais dans un élément à la hauteur de mes émotions intérieures. 
(...) Les calcaires de la Haute Région empêchaient l'homme de se croire le maître des choses. que pouvait espérer un homme seul face au déchaînement de la mousson ou à la force des lianes qui pouvaient briser les rochers ? "

NGHIA LO - 1951 - Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe

(...) " Vivre dans ce décor-là obligeait à composer avec l'ordre du monde. La volonté de puissance était absurde. Les hommes de ce pays possédaient ainsi une sagesse que je n'ai retrouvé nulle part ailleurs. (...) Vivre et mourir ne sont qu'un seul élan, et l'éternité se lit dans l'instant. La nature les prévenait de ces illusions qui sont les nôtres. Ils étaient provisoires car la puissance n'est pas humaine. " 


" Les seuls édifices qui tiennent sont intérieurs. 
Les citadelles de l'esprit restent debout plus longtemps que les murailles de pierre. "


VIETNAM -1996 - 
Jacques Allaire et Hélie de Saint Marc sur la route des souvenirs
Photo publiée avec l'aimable autorisation de Ronan de Bellecombe


Les extraits sont du livre  "Les sentinelles du soir" de Hélie de Saint Marc - Edition Les Arènes 1999


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